Une naissance n’a rien de mémorable, reste inconnue à tout ceux qui l’ont vécue et se conserve enfouie tellement profondément en nous qu’on ne la ressent qu’en subconscientes actions ou pensées. La mienne, je m’en souviens très bien. Ma deuxième naissance. Pas ma première.

J’avais ouvert les yeux. Derrière eux, ma cervelle semblait avoir grossit tant qu’elle goûtait l’explosion avenante. Mes lèvres gercées avec le temps s’étaient décollées d’entre elle et avaient inhalé un souffle profond et hémogénique au goût de poussière. Mes poumons avaient grandit; je reconnaissais que mon souffle était plus long et dense. Mes yeux aussi avaient grandis. Mes mains. Ma tête. Mes jambes. Mon corps. Mes pensées. Mon savoir. Tout. Tout de moi avait grandit.

Je connaissais les mots, aussi inexplicable que cela puisse paraître. Je les savais et les comprenais, les parlais et les écrivais. Je n’avais pourtant que 4 secondes d’âge. Comme si j’avais appris ce que l’Homme doit apprendre en un sommeil. Mes dernières mémoires sont floues, hirsute et cannibales. Elles se mangent entre elles et s’embrouillent. Tout était clair à présent. Je sentais que tout de la vie, je pouvais le comprendre. Tout sauf moi.

Je tentai de me redresser. Impossible. Mes muscles étaient endormis, quoi que bien plus fort qu’avant. Mon cœur battait très fort, comme s’il était essoufflé d’avoir pompé le contenu de mon crâne qui avait mémorisé une vie entière en… en combien de temps? Depuis quand étais-je couché dans cette pièce inconnue? Des siècles ou des minutes, impossible à dire. Encore aujourd’hui je ne pourrais dire.

J’avais tenté encore une fois de me redresser. Puis j’avais réalisé que j’étais maintenue par des ganses de cuir. C’était la panique qui s’était pris de moi alors. Je parcourus mon regard partout autour de moi; des fioles, des alambics, éprouvettes, seringues et scies. Je devinai que j’étais dans un laboratoire. À la merci d’on ne sait quel génie démentiel. J’avalai difficilement et fermai les paupières à nouveau.

Je compris que je n’étais plus un bébé. J’étais devenu grande. Grande jusqu’à quel point? Plus tard, en voyant mon reflet dans la glace, j’avais compris que j’avais sauté les 9 premières années de ma vie et que j’étais maintenant une fille. Sur le coup, j’étais désorientée.

Alors j’ai pensé à la dernière mémoire de poupon qui me venait en tête : l’odeur de ma mère. La voix de mon père. Mes sens ne me trompaient pas, j’en étais certaine. Au travers mon amnésie infantile, je pouvais retrouver ce qui m’était le plus cher; le sein de ma mère, et sa présence réconfortante. Ses berceuses et ses bras autour de moi. Puis un bruit m’avait tirée de mes réflexions.

Je sursautai et ouvrit les yeux sur une vision qui me glaça le sang : un visage humain, sans l’ombre d’un doute, cerné jusqu’à l’os, au regard fou et aux joues creuses. Il était au dessus de moi et me souriait comme un monstre l’aurait fait. J’avais très peur. J’étais horrifié, pour tout dire. Je savais qu’il était cause de mon étrange transformation. Je le savais car je le sentais. Ce type respirait la folie ainsi que l’intelligence, ce qui le rendait encore plus effrayant.

« Heaven have mercy…* »

Ce furent les tous premiers mots qui quittèrent ma bouche. Comme si je les connaissais par cœur. C’était bien normal puisque c’était mon nom, je compris plus tard. Celui qu’on m’avait répété tant de fois…

« Dialogue de Harry… »

Mon sang se glaça. Je me sentais déjà morte, tétanisée par la frousse et le pressentiment de terminer ma vie aussi bêtement. Je le vis tirer une aiguille de sa manche, aussi grosse et longue que la queue du Diable. Je me tendis en entier et observai la chose s’approcher de mon bras, tranquillement mais sûrement, quand même que je me débattais et criais.

Puis je compris que j’étais seule. Que ma mère n’était plus là pour moi. Que mon père ne viendrait pas à ma rescousse. Que c’était à moi de lutter sinon je subirai encore les atrocités de ce scientifiques. Je sortis détermination de je ne sais où dans mes tripes et me dis à cet instant exacte que je préfèrerais mourir que de servir de cobaye à ce démon une minute de plus.

Je me mis à crier, mais ce fut un cri sauvage qui quitta mes entrailles. Comme celui d’une bête. Je tirai de toutes mes forces pour me défaire de mes liens et réussis à en déchirer un. Puis le second. D’une vitesse que j’ignorais encore possible à l’homme, je m’étais redressée pour gifler violemment l’homme qui tomba sur le sol et me projeter hors de la civière qui me faisait office de lit. Je m’écroulai sur le sol et avant même que je me relève, le scientifique se jeta sur mes jambes pour m’empêcher de ramper vers la sortie qui était à quelques mètres de moi. Je le regardai par-dessus mon épaule; il avait une cicatrice ensanglantée en dessous de l’œil. Je fus autant surprise qu’épouvantée et utilisai toutes mes forces pour lui asséné un coup violent au nez. Il gémit de douleur et hurla mon nom dans la rage et le désespoir. Je sais depuis ce temps qu’il m’en veut à mort pour m’être échappée de la sorte.

J’avais courut pendant je ne sais combien de minutes pour me retrouvée perdue je ne sais trop où. L’endroit était sombre, et humide… Et pourtant, je ne ressentais aucun froid et voyait parfaitement dans l’ombre. Ma course était aisée, rapide et incroyablement furtive. Comme si l’élan m’avait donné l’agilité et la célérité du félin. J’avais adopté cette grâce dès mes premiers pas. Souffle court et chamboulement au cœur, je réfléchis de mille et une façon à tout cela sans trouver de réponse. C’est à ce moment que j’ai réalisé que mes doigts me faisaient mal. Je baissai mon regard sur eux et réalisai qu’ils étaient devenus des griffes.

Je criai de peur. Commençai à paniquer. Je me transformais en monstre! J’allais mourir ou perdre la tête! Qu’étais-je devenue?! Qu’est-ce que cet homme avait fait de moi?! Je fus prise d’angoisse et courrai dans tous les sens à la recherche d’une explication ou âme qui vive qui pourrait me réconforter. Je glissai sur une flaque d’eau et m’écroulai sur le sol.

C’est ce qui m’avait fallut pour que je reprenne mes esprits. Non. Je n’allais pas céder à la panique aussi facilement. Je devais me maîtriser. Prendre le contrôle sur moi. Je tournai ma tête vers la flaque d’eau pour voir mon reflet. Mes pupilles étaient aiguisées comme celles d’une bête et mes dents pointues comme la gueule d’un loup. Des larmes roulaient dans ce portrait odieux. Être une princesse ne serait jamais option pour moi, apparemment…

Puis je serrai les poings. Et mon œil se durcit. Je me promis d’utiliser ces atroces déformations pour me venger de celui qui me les a données. Et que jamais on ne me touchera ou touchera à ma famille. Mon cœur s’emballa. Jamais.

Et j’avais quitté ce corridor l’inquiétude au cœur mais la détermination au ventre.

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Depuis ce temps, je parcoure les couloirs à la recherche de ma mère et de mon père. Sans même que je sache s’ils sont morts. Jamais je n’ai vu l’extérieur qui me fait rêver, et jamais le verrais-je, probablement. Ici, ma vie n’est pas trop compliquée. Les monstres et autres figures cauchemardesques me sont devenus un quotidien sans danger; on n’ose s’approcher de moi quand je montre les crocs. Jamais je n’ai rencontré de personne comme moi encore. Et je ne sais pas si je le souhaite…

J’apprends tout de même énormément sur la vie; dans les bouquins, dans les expériences et les pensées qui m’habitent. Encore ai-je quelques maladresse avec ma personne et ce dont je suis capable… Mais j’ai encore la vie devant moi. C’est ma jeunesse qui est perdue…

Dans le manoir, sous forme bestiale, j’arpente les ombres et les noirceurs. Je corrige ceux qui veulent du mal et obéis à la parole de ceux que j’aime. Après tout, ne suis-je pas celle qui illustre le mieux la démence collective de cette meute de loups?

*le ciel ait pitié de moi